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Droits de la défense et saisie pénale : un (tout petit) pas vers le contradictoire ?

Le 18 janvier 2023
Droits de la défense et saisie pénale : un (tout petit) pas vers le contradictoire ?
Peut-on toujours parler d’Etat de Droit lorsque l’évolution du code de procédure pénale et de sa jurisprudence méconnaît les principes fondateurs du Droit ? Ou, autrement formulé, que reste-t-il du droit lorsque celui-ci se piétine lui-même ?

La question est ouvertement posée par les textes qui, depuis la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 « visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale » régissent ce que l’on nomme pudiquement les « saisies spéciales ». Sous ce terme générique, sont en effet regroupées des mesures de saisie patrimoniales dérogatoires (saisie bancaire, saisie immobilière, saisie de droits incorporels etc …) susceptibles d’être prononcées avant toute poursuite, contre une personne ignorant parfaitement les faits qui lui sont reprochés et à propos desquels elle n’a jamais été invitée à s’expliquer.

La loi prévoit que dans le cadre d’une enquête portant sur une infraction punie d'au moins cinq ans d'emprisonnement, et afin « de garantir l'exécution de la peine complémentaire de confiscation » susceptible d’être prononcée dans l’avenir par une juridiction de jugement, le juge des libertés et de la détention peut, sur requête du procureur de la République, ordonner la saisie des biens dont la confiscation est prévue par la loi en cas de condamnation (article 706-148 du Code de procédure pénale). Ce même pouvoir appartient au juge d'instruction, sur requête du procureur de la République ou d'office après avis du ministère public.

Les articles 706-148 et suivants du Code de procédure pénale déclinent les diverses hypothèses et conditions dans lesquelles ces saisies peuvent être pratiquées, allant jusqu’à permettre à un officier de police judiciaire agissant dans le cadre d’une enquête de flagrance ou d’une enquête préliminaire, de procéder à la saisie de fonds déposés sur un compte bancaire, sur simple autorisation, même non écrite, du procureur de la République … (Article 706-154).

Ainsi, en l’absence de toute mise en cause officielle et hors tout débat contradictoire puisque la personne visée n’a jamais été invitée à s’exprimer, l’ensemble des fonds déposés sur les comptes bancaires de celle-ci peuvent faire l’objet d’une saisie.

Cet arsenal répressif exorbitant du droit commun a été conçu dans un but clairement identifié et parfaitement légitime : lutter, avec les moyens ad hoc, contre la criminalité organisée et singulièrement contre le trafic de stupéfiants. En permettant aux enquêteurs de prendre les délinquants de vitesse, c’est-à-dire en frappant au portefeuille par anticipation, le législateur a entendu leur donner des moyens d’action à la mesure de l’enjeu. Et de ceux dont disposent leurs interlocuteurs.

Mais la loi n’ayant pas limité leur domaine d’application au seul crime organisé, ces textes  ont vocation à s’appliquer y compris en dehors de leur champ d’action originel, d’autant que les autorités auxquels ces pouvoirs dérogatoires ont été confiés ont une inclinaison naturelle à faire de l’exception la règle …

Nul n’est donc plus à l’abri d’une saisie pénale pratiquée en catimini, loin de tout contradictoire, sur la seule base d’une enquête ouverte à la suite d’une plainte contre X, d’une dénonciation, ou d’un vague soupçon. Du jour au lendemain, au mépris de la présomption d’innocence et du droit au procès équitable, n’importe quel citoyen peut ainsi se voir priver de l’accès à ses moyens matériels d’existence, et plonger, entre rejet de prélèvements bancaires et blocages de carte bleue, dans un état de complète vulnérabilité économique.

Car, et c’est là que l’Etat de Droit est en cause, la loi n’a pas mis en place des moyens de recours à la mesure de la gravité des atteintes portées aux droits individuels par ces « saisies spéciales ».

L’article 706-154 du Code de procédure pénale prévoit certes que la saisie pratiquée par l’officier de police judiciaire doit être maintenue ou levée dans un délai de dix jours à compter de sa réalisation par  ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction. Mais ce magistrat, lui aussi, statue en dehors de tout contradictoire, sur la seule foi des éléments communiqués par les enquêteurs, et sans que le saisi n’ait eu voix au chapitre. Autant dire que ce magistrat fait, le plus souvent fonction de juridiction d’enregistrement.

La voix au chapitre, le saisi ne l’aura que devant la Chambre de l’Instruction devant laquelle le même texte lui permet de déférer l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction.

Mais là encore, le droit piétine allègrement ses propres principes fondateurs !  

Tout d’abord parce que l’examen de cet appel, naturellement non suspensif, n’est enfermé dans aucun autre délai que le vaporeux « délai raisonnable » prévu par la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Ainsi l’a jugé le Conseil Constitutionnel qui, dans un arrêt du 14 octobre 2016 a affirmé avec un sens consommé de l’euphémisme que « le juge devant toujours statuer dans un délai raisonnable, l'absence d'un délai déterminé imposé à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel de l'ordonnance prise par un juge autorisant la saisie ne saurait constituer une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif de nature à priver de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété. » …  Autrement dit, circulez. Et patientez …

Ensuite, parce que le débat devant la Chambre de l’Instruction est un débat conçue par la loi elle-même comme un débat truqué. L'appelant ne peut en effet prétendre dans ce cadre qu'à la mise à disposition « des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste » ce qui signifie qu’il n’a pas droit à l’entier dossier mais uniquement aux pièces que le Ministère Public juge opportun de lui remettre.

Ni le contradictoire ni l’égalité des armes ne sont ici de rigueur.

Les avocats pénalistes ferraillent cependant avec acharnement pour arracher au Parquet les éléments de procédure qui leur permettront d’exercer effectivement les droits de la défense et de les sortir du champ purement virtuel où certains magistrats voudraient les enfermer.

Et le succès est parfois au rendez-vous.

Ainsi, dans un arrêt du 28 décembre 2021, une chambre de l’instruction a annulé une saisie pénale en considérant qu’elle n’était pas en mesure de rechercher le fondement juridique de la saisie dès lors que seule une infime partie de l'enquête préliminaire avait été portée à sa connaissance, l’empêchant « de procéder à une vérification approfondie des éléments de fait et de droit », et imposant aux avocats des appelants « une rupture d'égalité face à la partie poursuivante, la seule communication des pièces de la procédure se rapportant à la saisie contestée étant insuffisante pour assurer l'exercice, dans toute leur plénitude, des droits de la défense ».

Certes, cette décision aussi audacieuse que prometteuse a été cassée par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation le 23 novembre 2022 mais uniquement au motif qu’il appartient à la Chambre de l’Instruction « lorsqu'elle constate qu'elle n'est pas en mesure de se prononcer en l'état des pièces dont elle dispose, de préciser, avant dire droit, les pièces qui lui paraissent nécessaires pour en demander la production par le ministère public, qui ne peut opposer un refus ».

Avis à l’avocat pénaliste plaidant contre une saisie pénale devant la Chambre de l’Instruction : afin de contourner le plus efficacement possible les atteintes portées par la loi au contradictoire et au droit au procès équitable, il lui est désormais possible de demander officiellement et de manière détaillée aux magistrats, d’enjoindre au Parquet de produire la totalité des pièces qui leur permettront « de procéder à une vérification approfondie des éléments de fait et de droit » sur lesquels reposent la saisie.  

Maîtres Frédéric DELAMEA et Sammy JEANBART, avocats pénalistes au Barreau de VERSAILLES