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Le juge d’instruction n’est pas le (seul) maître des horloges

Le 24 juin 2022
Le juge d’instruction n’est pas le (seul) maître des horloges

On rappelle souvent la formule attribuée à Napoléon Ier selon laquelle le juge d’instruction serait « l’homme le plus puissant de FRANCE ». L’image, saisissante, était peu éloignée de la réalité juridique en 1808,  date de la promulgation du Code d’Instruction Criminelle, ancêtre de notre Code de Procédure Pénale. Elle l'était moins encore en 1847 lorsque Balzac écrivait dans Splendeurs et misères des courtisanes : "Aucune puissance humaine, ni le roi, ni le garde des sceaux, ni le premier ministre ne peuvent empiéter sur le pouvoir d’un juge d’instruction, rien ne l’arrête, rien ne lui commande. C’est un souverain soumis uniquement à sa conscience et à la loi."

Qu'en est-il en 2022 ?

Il n'est pas déraisonnable de dire que la formule impériale n'a pas totalement perdu son actualité  tant les pouvoirs du juge d’instruction, même rognés par quelques réformes salutaires au cours des dernières décennies, demeurent étendus.

De fait, le juge d’instruction reste à ce jour doté de pouvoirs exceptionnels, qui lui permettent d’influer de manière profonde sur la vie, le patrimoine, l’honneur et la réputation de tous les citoyens.

Parmi ces vastes pouvoirs, le moindre n’est pas la maitrise du temps.

L’instruction suit en effet le rythme que celui qui en est chargé choisi de lui imprimer. Les délais qui lui sont fixés par le code pour mener son entreprise sont larges, souples et, hormis en cas de détention provisoire, pratiquement symboliques.

Un juge d’instruction débordé (il y en a beaucoup) ou indolent (il s’en rencontre parfois) peut ainsi à sa guise laisser une instruction se prolonger plusieurs années sans qu’aucune évolution réelle ne justifie l’attente toujours pesante, parfois insupportable, imposée aux parties, qu’il s’agisse du mis en examen, du témoin assisté ou de la partie civile.

Toutefois cette maîtrise du temps n’est pas totale et le juge d'instruction n’est plus désormais le maitre absolu des horloges qu’il a trop longtemps été.

L’article 175-1 du Code de procédure pénale permet en effet au mis en examen, au témoin assisté ou à la partie civile de demander au juge d'instruction de mettre un terme à son instruction, soit en prononçant le renvoi ou la mise en accusation devant la juridiction de jugement, soit en prononçant un non-lieu, lorsque le délai légal d’achèvement de la procédure, annoncé aux parties au moment de leur première rencontre avec le juge, est dépassé  ou lorsqu’aucun acte d’instruction n’a été accompli depuis plus de quatre mois.

En cas de refus du juge, ou de silence réservé à la demande (par un juge débordé ou par un juge indolent), la chambre de l’instruction peut-être saisie.

Si ce dispositif, complété par quelques autres règles de même inspiration, ne constitue certes pas une panacée, il n’en est pas moins un moyen de pression efficace lorsque la notion de « délai raisonnable », si généreusement interprétée par la Cour de Cassation, devient déraisonnablement malmenée par un juge d’instruction.

Aucun magistrat n’aime en effet voir ses carences (volontaires ou non), mises en lumière dans un acte de procédure. Aucun magistrat n’aime davantage voir des juges d’appel scruter sa gestion du calendrier, surtout lorsque celle-ci s’avère problématique.

L’arme, pour ne pas être nucléaire, n’en est donc pas moins dissuasive et l’avocat pénaliste, en en faisant un usage judicieux, c’est-à-dire ciblé et motivé, peut, grâce à elle, opposer à l’homme (ou la femme) le plus puissant de FRANCE, un contre-pouvoir souvent très efficace.

L’expérience l’a mainte fois démontré.

Maitres Frédéric DELAMEA et Sammy JEANBART, avocats pénalistes au barreau de VERSAILLES