Le délai d’audiencement, c’est-à-dire ce temps qui s’écoule entre le moment où une affaire est en état d’être jugée en première instance ou rejugée en appel et celui où elle est effectivement examinée par les juges, est un sujet de préoccupation majeure pour bien des justiciables.
Les juridictions pénales françaises, on le sait, sont surchargées. Et ce constat s’applique tant aux juridictions de premier degré qu’aux juridictions d’appel.
Il en résulte des délais d’audiencement devenus surréalistes et confinant parfois au déni de justice.
Qu’il s’agisse de la fixation d’une date devant un Tribunal Correctionnel pour un prévenu ou une partie civile en attente du jugement de son affaire ou de l’examen d’un appel formé par les mêmes à l’encontre du jugement enfin prononcé, on frise bien souvent l’univers de Kafka.
Le summum est atteint avec les délais d’attente devant les Cour d’Appel où il n’est pas rare de devoir computer en années.
Certains parquets généraux ont d’ailleurs mis au point une lettre-type adressée aux prévenus appelants dont la peine se trouve exécutée par l’effet du temps écoulé : elle les invite poliment à indiquer si, dans ces conditions, ils entendent maintenir leur recours ou s’ils préfèrent y renoncer …
Décidément, Kafka triomphe !
On imagine aisément les sentiments que peuvent inspirer ces invitations à écluser les stocks lorsqu’elles sont reçues par des appelants qui contestent les faits qui leur sont reprochés et qui attendent depuis des mois ou des années leur procès en appel pour faire valoir leurs arguments et obtenir leur relaxe !
Les avocats pénalistes ont malheureusement l’habitude de recueillir les doléances de leurs clients à ce propos. Au sein du cabinet DFJM, Maître Frédéric DELAMEA et Maître Sammy JEANBART ne comptent plus les dossiers dans lesquels il auront passé plus de temps à tenter d’expliquer à leurs clients ce dysfonctionnement majeur de l’institution judiciaire qu’à travailler sur le fond de l'affaire !
Dans un tel contexte, les réactions souvent étonnées, parfois scandalisées qu’ont suscitées les audiencements express des appels formés par Madame LE PEN et par Monsieur SARKOZY à l’encontre des condamnations prononcées à leur encontre par le Tribunal Correctionnel de PARIS peuvent se comprendre.
Y aurait-il en France un audiencement pénal à deux vitesses ? Un traitement VIP des appels réservé à une élite de justiciables ?
La réponse est clairement négative.
Comme en toute chose, et plus particulièrement en matière judiciaire, il convient de tordre le cou aux idées simples.
Dans les deux affaires citées, chaque audiencement rapide a en effet répondu à un motif indiscutable, étranger à tout traitement de faveur.
L’audiencement à très bref délai des appels formés dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire libyenne » constitue ni plus ni moins l’application du droit.
L’article 509-1 du Code de procédure pénale dispose en effet que « Le prévenu doit comparaître devant la chambre des appels correctionnels dans un délai de quatre mois à compter soit de l'appel, si le prévenu est détenu, soit de la date à laquelle le prévenu a été ultérieurement placé en détention provisoire, en application de la décision rendue en premier ressort. ». Ce délai peut, « à titre exceptionnel, par une décision mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l'affaire » être prolongé de quatre nouveaux mois. En outre, lorsqu'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national ou que la poursuite porte sur un certain nombre d’infractions spécifiques, ce délai peut être porté à deux fois six mois.
Au terme de ces délais, si l’affaire n’a pas été évoquée par la Cour d’appel, le prévenu est automatiquement remis en liberté.
Voilà pourquoi dans « l’affaire libyenne », dont certains protagonistes sont actuellement en détention provisoire, un audiencement rapide s’imposait.
La personne de Monsieur SARKOZY était dès lors parfaitement indifférente à cette décision, du moins à compter du moment où il avait quitté les murs du Centre Pénitentiaire de La Santé.
Le cas de Madame LE PEN est différent.
Dans le dossier dit des « assistants parlementaires européens », aucun des prévenus appelant n’est en détention provisoire. En théorie, le dossier devait par conséquent rejoindre le lot commun des dossiers d’appels dans lesquels l’audiencement n’est enfermé dans aucun délai impératif, et aurait dû connaître le sort que connaissent les justiciables du quotidien.
Mais la peine d’inéligibilité avec exécution provisoire prononcée à l’encontre de la principale appelante imposait pour des raisons évidentes un traitement singulier.
L’institution judiciaire, et en premier lieu le procureur général de PARIS, responsable de l’audiencement, pouvaient-ils faire fi de la personnalité de l’appelante et de sa place sur l’échiquier politique français ?
Pouvaient-ils feindre d’ignorer que Madame LE PEN avait réuni sur son nom 13 millions de bulletins de vote lors de l’élection présidentielle de 2022 et que, candidate d’ores et déjà déclarée à celle de 2027, les sondages la créditaient de plus de 30 % des intentions de vote ?
Le respect des principes démocratiques les plus élémentaires, dont le suffrage universel est le pivot, imposait donc que la justice statue sur le cas de la candidate avant le début de la campagne électorale sauf à transformer le juge pénal en arbitre des élections.
D’où ce traitement spécifique réservé à l’appel de Madame LE PEN, qui n’est pas un traitement de faveur mais une exigence de bons sens républicain.
Chaque citoyen a bien évidemment le droit de combattre les idées de Madame LE PEN comme il a celui de les partager. Mais c’est à lui seul, dans le secret de l’isoloir, qu’il appartient de choisir ses représentants.
Ce pouvoir n’appartient ni aux juges, ni aux procureurs.
Il n’y a donc rien qui doive choquer dans les audiencements spécifiques des dossiers LE PEN et SARKOZY.
Au contraire, il y a tout dans ces deux décisions pour rassurer les défenseurs de l’état de droit puisque seuls ont été ici à l’œuvre l’application de la loi et le respect du suffrage universel