Discours prononcé à l’occasion du Bicentenaire
du Barreau de VERSAILLES
Le 26 septembre 2025
Par Monsieur le Bâtonnier Olivier FONTIBUS
Président du Comité du Bicentenaire
« Partout où il y a un barreau, la justice est mieux rendue, les citoyens sont plus éclairés et la loi plus respectée »
Jean RAOULT, Bâtonnier de l’Ordre – 1950 -
« L’avocat libre est une illusion s’il est solitaire. Il ne peut exister et prendre sa valeur et son efficacité qu’au sein d’un Ordre, d’un Barreau. Non seulement il y puise sa force, mais il y exerce sa profession dans le respect de ses droits et devoirs que l’Ordre lui enseigne et l’aide à observer fût-ce par la contrainte et les sanctions ».
André Damien, Bâtonnier de l’Ordre – 1993 -
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Voilà presque 36 ans que le Château s’est endormi.
Détérioré, Délaissé, totalement vidé de toutes ses richesses d’un passé détesté, il est cependant encore là, debout, éteint, comme un fantôme, marquant de son empreinte de géant une ville qui fût, à son grand étonnement, la capitale politique de la France pendant près de deux siècles.
La ville, construite au fil des ans, s’est aussi vidée de ses habitants, grands bourgeois, courtisans et aristocrates, venus y vivre, le plus souvent contraints.
Elle n’abrite plus que 28 milles habitants alors même qu’elle en comptait plus de sur 52 000 en 1790.
La ville ne s'est toujours pas entièrement remise des troubles révolutionnaires.
Il faut plus de 2 h 30 pour atteindre la capitale par la route de Sèvres ;
On commence timidement à imaginer la création d’une ligne ferroviaire reliant les deux villes.
Voilà près de 10 ans que l’Empire a de nouveau cédé la place à une monarchie restaurée par ceux-là même qui avaient quitté Versailles et émigré aux tous premiers grondements.
Provence et Artois, ont Eux aussi oublié ce lieu où ils étaient nés et avaient tous deux grandi.
Trop de souvenirs, sans doute ; trop de symboles surtout, que la France veut oublier.
Charles X succède à ses deux frères.
Le 29 mai de cette même année, Il s’est fait sacrer à REIMS dans la plus pure et fidèle tradition monarchique, en évitant tout de même VERSAILLES.
Voilà près de 15 ans que la profession d’avocat a enfin retrouvé ses institutions ordinales.
A VERSAILLES, Louis Amédée LAHENS, Ernest-Eloi BOINVILLIERS, Philippe-Michel BURON, Antoine PONS, Marie-Oscar PINARD, Jean-Edmond BRIAUNE, Claude-Pierre GAUTHIER, jeunes avocats à peine âgés de trente ans, rêvent d’indépendance.
S’ils ont prêté serment depuis peu devant le parlement de Paris, auprès duquel ils sont inscrits, ils exercent à VERSAILLES, rue de la paroisse, rue mademoiselle, place Hoche.
Ils ont remis maintes fois leur projet à demain.
A quoi bon se battre tant que la profession reste sous le joug du pouvoir dans la pure tradition napoléonienne.
Mais maintenant que la méfiance impériale a laissé la place à une bienveillance royale, certes « mesurée », ils peuvent enfin mener à bien « leur dessein » : un barreau indépendant.
Forts de l’Ordonnance royale du 20 novembre 1822 qui restaure enfin l’indépendance des Barreaux, et notamment l’élection du Bâtonnier par le Conseil de l’Ordre et non plus sa désignation par le procureur général, ils entendent bien convaincre du bien-fondé de leur demande.
Et puis, la légitimité de leur démarche ne fait pour eux aucun doute.
Si VERSAILLES n’a jamais été doté d’un Parlement, et pour cause, la présence dans leur ville d’institutions judicaires est bien antérieure à son rayonnement royal.
Alors même que la ville n’était qu’une vaste plaine marécageuse au milieu de laquelle était blotti un petit village, un prévôt y rendait déjà la justice par délégation du Bailli des moines célestins, installés à PARIS, alors propriétaires des lieux.
Certes, la justice était alors rendue dans une salle en terre battue où comparaissaient de temps à autres les paysans et artisans de la plaine.
C’était une Justice de proximité déjà très lente en cause d’appel, le délai d’audiencement pouvant atteindre alors 15 ans !
Mais, le Rachat par Louis XIII des terres de VERSAILLES en 1623, qui d’après SAINT-SIMON “est le plus triste et le plus ingrat de tous les lieux” changea totalement la donne en conférant au Bailli le statut Royal.
De ce jour, VERSAILLES devient un des grands sièges judicaires semblables à celui de grandes villes dépourvues de Parlement.
La Justice, civile et pénale, y est rendue désormais non plus sur terre battue mais au sein d’un nouveau bâtiment, le Baillage, muni de ses geôles, à deux pas de la place du Marché.
Ville royale où se tient dorénavant fixement la Cour, VERSAILLES se dote d’une nouvelle juridiction, celle de la Prévôté de l’Hôtel du Roi compétente pour tous ceux, qui de près ou de loin, ont affaire à la Cour.
Les auxiliaires de justice chargés d’assister les plaideurs devant ces juridictions sont alors le plus souvent des procureurs et avocats du parlement de PARIS.
Séduits par cette « Ville nouvelle » aux vastes avenues arborées, bordées d’élégants hôtels particuliers éloignés du tumulte parisien mais surtout par la proximité du Roi et de la Cour, bons nombres d’entre eux finissent par s’y installer, y vivre et y exercer.
Avocats « sans barreau », mais non sans talent, ils dépendent du Parlement de PARIS auprès duquel ils sont inscrits.
Alors, forts de ce passé de l’Ancien régime et animés d’une volonté farouche d’exister, Il était temps pour eux de passer à l’acte.
Après moultes pressions, démarches et courriers, ils obtenaient enfin de la Cour Royale de Paris le 10 février 1825 un arrêt qui réservait dorénavant la faculté de plaider devant le tribunal de Versailles aux avocats portés sur le tableau à l’exclusion des avoués.
C’est ainsi que le 27 décembre 1825, le Barreau de VERSAILLES voyait le jour.
Le 14 janvier 1826, le premier tableau de l’Ordre était constitué de ces sept jeunes avocats.
Leur première décision concerna la fixation d’une cotisation.
Le 27 février 1827, ils étaient dix.
Les années suivantes furent difficiles et devant le trop lent développement des effectifs de ce jeune barreau et l’impossibilité de faire face à la demande, les avoués obtinrent à nouveau le droit de plaider à titre exceptionnel.
Farouchement opposés à la création de ce barreau, les avoués continuèrent d’envoyer leur dossier aux avocats parisiens, empêchant ainsi le développement des cabinets versaillais.
Tout était à refaire. Convaincre à nouveau que ce Barreau avait du sens, un avenir.
Fort de nouvelles recrues, convaincus de leur bon droit, le barreau est prêt à en découdre.
C’est ainsi que le bâtonnier GAUTHIER adressa, le 15 janvier 1841, à son homologue parisien un message des plus clairs :
« Nous manifestons auprès de vous nos craintes sur le moyen que les avoués veulent employer pour chercher à détruire le barreau de Versailles. Ce moyen consiste à faire plaider toutes leurs affaires par des avocats de paris.
Nous aimons à penser que nos confrères, bien pénétrés des devoirs qu’impose la confraternité, ne consentiront pas, sauf cas exceptionnels, à venir plaider à Versailles… »
Porté par la confiance de ses pairs, le Bâtonnier GAUTHIER exercera cette fonction à 20 reprises entre 1825 et 1849.
Enfin installé dans le paysage ordinal français, le Barreau pouvait prendre son essor.
De son côté, devant l’accroissement de l’activité judiciaire, la Justice versaillaise devait également s’adapter.
Elle s’installe en 1890 dans un tout nouveau bâtiment plus spacieux et confortable en lieu et place de l’hôtel du Grand Veneur qui l’accueillait depuis la révolution.
Si la presse salue ce nouveau Palais de Justice, fait de briques et de pierres, construit aux abords de la Cour d’assises et de la prison Saint-Pierre, d’autres regrettent la destruction de l’élégante demeure royale de 1670.
Les avocats investissent avec bonheur leurs nouveaux locaux, « commodes et confortables » aux dires de la presse et entrent avec confiance dans le 20ème siècle.
Ils sont maintenant plus de 20 à être inscrits au tableau dont une femme depuis le 9 juillet 1912, cette inscription étant devenue possible depuis la Loi du 1er décembre 1900.
Si notre Barreau a attendu près de 11 ans pour inscrire une femme à son tableau, il fût cependant le premier au sein de la Cour d’appel de PARIS à élire une Bâtonnière en 1959, en la personne de Maître Ginette SYNAVE.
Les deux grandes guerres du 20ème siècle ne l’ont naturellement pas épargné.
Alors que la loi du 11 juillet 1943 énonçait la désignation des bâtonniers et membres du Conseil de l’Ordre par le Garde des Sceaux du régime de Vichy, le Bâtonnier PLANTY rappela avec panache et un certain courage à ce ministre la tradition séculaire d’indépendance des barreaux :
« Compromettre l’indépendance des avocats serait une chose très grave, non seulement pour eux-mêmes, mais de toute évidence pour la Justice, car il est nécessaire que les avocats soient indépendants pour que l’œuvre de justice puisse normalement s’accomplir »
C’est avec la même détermination qui conduisit à sa création 150 ans plus tôt et à son fort développement durant cette décennie, que notre Barreau, sous l’impulsion de son Bâtonnier, André Damien, contribua à la création de la Cour d’appel de VERSAILLES le 24 décembre 1975.
Tour à tour, écuries royales, entrepôts, prison, caserne sous la révolution, les bâtiments de la rue Carnot accueillaient dorénavant, après quelques travaux, la nouvelle juridiction – Il fallait y penser !
Ce travail de mémoire, bien utile aujourd’hui, nous le devons à notre ami, Jacques VILLARD, historien, aujourd’hui disparu, sans le travail duquel nous l’aurions perdue.
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Aujourd’hui, dotée :
D’un tribunal judiciaire,
D’une cour d’assises qui vit passer bon nombre de procès gravés dans la mémoire collective et dans cette barre qui est aujourd’hui le seul vestige de la salle historique construite en 1811 et détruite en 1984,
D’un tribunal de Commerce créée en 1800, devenu depuis peu Tribunal des activités économiques,
D’un tribunal administratif depuis 1953,
De la troisième Cour d’appel de France,
D’une cour administrative d’appel,
D’une Université,
De la deuxième école d’avocats
Et d’un barreau fort de plus de 900 âmes,
Versailles est une véritable Ville-judiciaire.
La ville et le Barreau sont liés depuis fort longtemps.
Nombre d’entre nous se sont investis dans la vie politique locale jusqu’à en devenir le premier magistrat :
- Ovide REMILLY en 1837
- Charles RAMEAU en 1870
- Henri SIMON en 1913
- Le Bâtonnier Henri SAINT MLEUX en 1919
- André MIGNOT de 1947 à 1977
Et bien sûr le Bâtonnier André DAMIEN, Maire de 1977 à 1995, qui a marqué à jamais, de son ombre tutélaire, l’histoire de notre Barreau.
En cette année du bicentenaire, la ville de VERSAILLES est encore à nos côtés.
Et je veux ici remercier chaleureusement son Maire, Monsieur François DEMAZZIERES et toutes ses équipes pour le soutien qu’ils nous apportent à cette occasion.
Louis Amédée, Ernest-Eloi, Philippe-Michel, Antoine, Marie-Oscar, Jean-Edmond, et Claude-Pierre, votre rêve, devenu réalité, a traversé les siècles.
Nous mesurons tous le chemin parcouru depuis cet hiver 1825.
Nous ne célébrons pas seulement une institution mais surtout des femmes et des hommes,
Ceux qui, hier, par leur audace, leur détermination et leur talent ont créé, construit et renforcé notre barreau au fil des ans ;
Ils nous obligent. Ils nous inspirent. Ils nous commandent de regarder l’avenir avec confiance.
Ceux qui aujourd’hui s’y investissent pleinement.
Et A ceux qui demain auront à porter cette lourde responsabilité dans un monde tumultueux,
Nous confions cet héritage.
Mes jeunes confrères,
Engagez-vous, notre Barreau et notre profession le méritent bien.
Et N’oubliez jamais, en toute circonstance et quels que soient les défis à relever, que notre robe est à jamais signe d’audace, d’indépendance et de liberté.